APRÈS LA POLÉMIQUE VANESSA BURGGRAF/NAJAT VALLAUD-BELKACEM

A s’obséder sur les fake news, on est passé à côté du débat de fond : pourquoi la suppression du « i » à « oignon » fait-elle suffoquer d’indignation la chroniqueuse d’« On est pas couché » ?`


« Je n’en rajoute pas car je ne veux pas vous mettre en difficultés… On va oublier cette discussion ». Samedi 20 mai, Najat Vallaud-Belkacem a tendu la perche à Vanessa Burggraf pour éviter à celle-ci de s’enferrer dans de stupides attaques contre une prétendue « réforme de l’orthographe » qu’aurait imposée l’ancienne ministre de l’Education nationale. Mais rien n’y a fait : sûre de son bon droit, la chroniqueuse de l’émission « On n’est pas couché » a poursuivi ses attaques ad personam… Elle ne peut donc s’en prendre qu’à elle-même si les médias ont épinglé ses nombreuses approximations (cf. l’article de Libération) ou si elle est devenue la risée des réseaux sociaux.

N’en déplaise à Laurent Ruquier (qui estime que « la seule fake news [de l’émission], c’est de dire que Vanessa Burggraf a fait des “fake news” » ), sa chroniqueuse s’est bel et bien pris les pieds dans des contre-vérités flagrantes. Non, l’ex-ministre n’a mené aucune réforme de l’orthographe puisque les « recommandations orthographiques » dont il est ici question ont été proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées à l’unanimité par l’Académie française… en 1990 ! Non, cette nouvelle orthographe ne s’accompagne d’aucune contrainte puisque les usagers de la langue gardent la possibilité de conserver l’ancienne. Non, les éditeurs scolaires n’ont reçu aucune injonction à adopter ces changements, la preuve c’est qu’un certain nombre d’entre eux ne les ont pas introduits dans leurs manuels…

Le problème, c’est qu’à force de se focaliser sur la question « fake news or not fake news ? » (certes légitime, voire indispensable : Hannah Arendt expliquait déjà que « la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat »), on a évacué le débat de fond. Pourquoi donc Vanessa Burggraf s’est-elle dite « atterrée » en constatant que, dans les dictées de la classe de sa fille, on « enlève les petits tirets » et on écrit « oignon » sans le « i » ? Elle en avait des trémolos dans la voix, la pauvre chroniqueuse, elle en suffoquait d’indignation… comme si elle venait de débusquer là le plus grand scandale de notre temps… Euh oui, enfin… il s’agit juste d’enlever le « i » à « oignon », Vanessa, non ? En quoi une toute petite lettre mérite-t-elle de tels cris d’orfraie ?

« Les adversaires, et souvent la presse après eux, ont présenté les rectifications (…) comme une étape vers la “dissolution de la langue”, voire vers la “dissolution de la culture toute entière”. Le modeste “i” de “oignon” est ainsi érigé en rempart de la civilisation occidentale », écrivait déjà l’Aparo (Association pour l’application des recommandations orthographiques) en 1997.

De nombreux linguistes ont montré comment la « religion de l’orthographe » s’accompagne d’un esprit d’obéissance irraisonnée qui constitue la négation même de l’esprit critique. Comment sa complexification croissante et constante depuis le Moyen-Âge a eu clairement un objectif de ségrégation sociale, les « populaires » étant ainsi progressivement écartés d’une bonne maîtrise de la langue…

Alors, vouloir simplifier cette orthographe tarabiscotée serait donc un crime contre la Patrie? Ou plutôt un progrès pour permettre à chacun-e d’accéder plus facilement à la culture commune ? Pour comprendre cela, il faudrait que les journalistes (dont les mots constituent pourtant la matière première) s’intéressent un peu à la linguistique. A écouter les propos de Vanessa Burggraf, on comprend qu’on en est loin…