À ma demande, le Collectif Job a accepté que je présente ma conférence gesticulée sur la critique des médias sous une nouvelle forme : un « atelier-conf’ gesticulée-débat ». Premier bilan personnel de cette expérimentation, menée en mai 2018, que je souhaite plus conforme à une démarche d’éducation populaire.

Comme toute conférence gesticulée, « Le mystère du journalisme jaune », conf’ sur la critique des médias que j’ai créée voilà quatre ans, se veut un outil d’éducation populaire. Il n’empêche : cela reste un spectacle – que j’adore jouer, du reste ! Et le fait d’y adjoindre – parfois ! – un atelier « post-conf’ » ne change rien à l’affaire : le conférencier – moi, en l’occurrence – reste, face aux participant.e.s à cet atelier, dans la position de « celui qui sait »… Et cela même si nous tentons de le faire de façon modeste, en revendiquant seulement ce que notre expérience personnelle – ce qu’on appelle nos « savoirs chauds » – nous a permis de comprendre et de transmettre sur le sujet de notre conf’.

J’ai donc eu envie de renverser les choses. Sur mon sujet de prédilection – la critique des médias et du journalisme –, plutôt que de partir de ma propre expérience (40 ans d’exercice du métier de journaliste), s’appuyer d’abord sur ce que vivent le public, les citoyens, vous… sur le plan de la désinformation et de la maltraitance médiatique. D’où la nouvelle forme que j’ai souhaité donner à mon travail : un « atelier-conf’ gesticulée-débat » sur la critique des médias.

« Le vent se lève » se voulant un Festival d’éducation populaire, je me suis dit que ce serait un cadre idéal pour mener cette expérimentation. Les copains/copines du Collectif Job, qui m’avaient invité à venir jouer « Le mystère du journalisme jaune », ont accepté ma demande. Merci à eux/elles, car ce n’était pas un choix facile : après plus de 80 représentations du « Mystère du journalisme jaune », ma conf’ est plutôt bien rodée tandis que là, il y aurait forcément les aléas, les imperfections, les contradictions d’une première tentative.

Comment cela s’est-il passé, alors, ce samedi 19 mai 2018 après-midi à Toulouse ?

A 14h, nous nous retrouvons à une douzaine pour un atelier dans une petite salle du rez-de-chaussée. Et je donne à chaque participant.e la consigne suivante : « Essaie de retrouver un exemple de désinformation ou de maltraitance médiatique dont tu as été victime ou témoin et raconte-la au groupe ! » Au début, ça n’est pas facile. Les un.e.s objectent : « Il n’y a rien qui me revient » ; et les autres : « J’ai une anecdote mais je la trouve pas très intéressante… » Et puis, petit à petit, la mayonnaise commence à prendre, l’émulation à fonctionner, les histoires à circuler… Tant et si bien qu’au bout d’une heure, il nous faut choisir trois d’entre elles en vue de les mettre en scène.

La première raconte une action militante qui a choisi de privilégier ses relations avec un média au risque que les autres racontent n’importe quoi. La deuxième traite des questions éthiques que se pose une femme en charge d’un agenda citoyen pour savoir si elle peut censurer certains événements qui ne lui semblent pas « dans la ligne ». La troisième évoque une chorale de chants de lutte qui va chanter aux portes d’une usine en grève et découvre le lendemain que les textes et photos consacrés à l’événement valorisent la chorale… mais ne disent pas un mot de la lutte des ouvriers ! Trois petits groupes se mettent en place pour improviser – à l’arrache ! – des saynètes sur chacun des récits.

Vers 16h30, on se retrouve dans la salle de spectacle, au 2e étage. Après avoir trouvé notre place en bas de la scène, juste devant les premiers gradins, on démarre la présentation des trois saynètes. Sur chacune, je propose au public de « faire forum », selon la méthodologie du Théâtre de l’Opprimé : certain.e.s viennent remplacer un personnage et tentent, à sa place, de transformer les choses ; d’autres font des suggestions depuis leur place. Malgré le temps insuffisant que nous avons eu pour préparer les scènes, cela fonctionne plutôt bien : le débat s’engage sur des questions comme « Jusqu’où un mouvement militant peut-il aller pour faire parler de lui dans les médias ? » ou « Comment faire pour éviter la censure que l’on dénonce chez les autres quand on passe soi-même du côté des “producteurs d’infos” ? » Bravo au passage à celles et ceux de l’atelier qui se sont prêté.e.s à cet exercice de comédien.ne improvisé !

Au bout d’une heure, on arrête le forum pour passer au troisième temps : des « bouts » de conférence gesticulée. Je suis venu avec une vingtaine de phrases sur le journalisme, et je choisis d’en traiter quelques-unes qui me semblent faire écho aux situations évoquées dans les saynètes :

  • Qu’est-ce que le journalisme ?
  • Toutes les vérités sont bonnes à dire.
  • Le vrai problème aujourd’hui, ce sont les fake news.
  • Les journalistes mentent comme ils respirent.
  • Les faits divers sont aussi des faits qui font diversion.

Sur chaque question, je procède « à la manière d’une conf’ », c’est-à-dire en alternant savoirs chauds (tirés de ma propre expérience) et savoirs froids (les analyses que j’ai pu en tirer et celles que je suis allé chercher chez d’autres).

C’est cette dernière partie qui me laisse le plus un sentiment d’« inabouti ». Le collage de cinq questions choisies parmi les vingt aboutit à quelque chose de trop éclaté, fragmenté, sans fil directeur, sans que cela apporte vraiment un éclairage complémentaire aux situations racontées dans les saynètes. À Toulouse, j’ai compris qu’il faudrait un vrai temps de latence (une heure ?) entre l’atelier et la partie publique pour pouvoir reconstruire une mini-conf’ cohérente, adaptée aux situations évoquées en forum. Ainsi pourrait s’organiser le débat entre :

  • les histoires issues du travail en atelier et mises en scène ;
  • les pistes proposées par les spectateurs en faisant forum ;
  • les explications apportées à partir de ma propre expérience.

A la sortie du spectacle, certain.e.s, qui connaissaient ma conf’, regrettaient de ne pas l’avoir vue dans sa forme habituelle. Merci au Collectif Job de m’avoir permis de commencer à cheminer vers une nouvelle forme, plus égalitaire et plus participative !

(et merci à Hervé Chaplais, du Pavé, pour m’avoir convaincu, lors du Festival de conférences gesticulées de Goutelas 2017, de l’intérêt d’un atelier « pré-conf’ » !)